DERRIÈRE LE MATRICULE  15 100 JEANINE MORISSE DITE NIQUOU

Photo de Jeanine Morisse-Messerli (source: Musée de la Résistance de Toulouse)

Jeanine Morisse, épouse Messerli, est une Résistante française née le 19 mai 1921 à Auch (dans le Gers), toujours en vie à ce jour (nous avons pu la rencontrer, chez elle, en mars 2017 et lui montrer le court-métrage que nous avons tourné à partir de ses souvenirs : la rubrique “RENCONTRE” du site revient sur ce moment fort). Elle a étudié aux beaux arts à Toulouse en compagnie de sa petite sœur étudiante en licence de chimie. Sa mère accueillait des Polonais, des Belges, des Luxembourgeois et des Parisiens fuyant les Allemands1Jeanine Morisse-Messerli décide de devenir résistante avec un groupe d'étudiants le 18 juin 1940, jour de l'appel du général de Gaulle. Elle devient alors agent de liaison entre le lieutenant anglais Marcus Bloom2, un opérateur radio, et son chef de réseau. Sa première mission consiste à apporter un poste émetteur caché dans une valise au lieutenant Marcus Bloom.

En 1943, dénoncée, la résistante est obligée de se cacher successivement dans plusieurs petits villages du Gers. Elle est finalement arrêtée en avril 1943 avec son père, également membre de la résistance. Elle est alors emprisonnée dans la prison de Furgole à Toulouse. Le 28 mai 1943, elle est déportée en train jusqu'à la prison de Fresnes (au sud de Paris), où elle reste 8 mois.

La  prison de Fresnes (Source : Actuacity)

Là-bas, fouillée, on ne lui laisse rien à part ses vêtements3. Du fait de n'avoir aucunes nouvelles de leurs proches, quelques unes de ses camarades perdirent la raison. D’autant que Jeanine Morisse-Messerli et ses camarades étaient méfiantes car certaines prisonnières étaient utilisées pour récupérer des informations sur d'autres prisonnières en échange de leur liberté ou pour alléger leur peine4.

A Fresnes Jeanine Morisse écrit de petits textes (prières, chants ou poèmes). Cependant, n’ayant rien pour les noter, à part quelques bandes de tissu, elle les crée le plus souvent de tête et se les répète, inlassablement. Elle ne les mit par écrit qu’après son retour d’Allemagne.

Bandes de tissu sur lesquelles Jeanine Morisse nota des messages pour ses parents (source: Musée de la Résistance de Toulouse)

Ses poèmes et ses chants ont été publiés dans son livre, Là d'où je viens, publié en 20085. On y apprend que pour communiquer avec ses parents, elle a cousu en captivité de petits messages dans les ourlets de ses vêtements, qu’elle leur envoyait ensuite depuis la prison de Fresnes, pour qu’ils les lavent (voir photo ci-dessus).

A Fresnes, elle attrape la jaunisse à cause d'une épidémie dans la prison, mais elle ne sera pas soignée. Toutefois, le 25 janvier 1944, elle est déportée en camion au camp de Compiègne à Paris, où elle reste six jours. Là-bas elle retrouve ses amis de la résistance toulousaine. Le 31 janvier, elle part en train depuis la gare de l'Est. Dans le train les conditions sont inhumaines. Elle se retrouve dans un wagon à bestiaux, la lucarne étant bouchée par des planches clouées et la porte plombée et enchaînée. Le voyage dura trois jours6.

Camp de Royallieu près de Compiègne (source : CRDP Amiens)

Jeanine Morisse arrive le 3 février 1944 à Ravensbrück. Elle y découvre un monde inhumain. A son propos elle écrit, dans son livre paru en 2008 : « Je ne pourrais jamais dire ce qui se passa en nous en franchissant cette porte, cette voûte. Nous avions l'impression de vivre un cauchemar, de laisser le monde des humains pour entrer dans un monde de terreur »7.

Camp de Ravensbrück (source : Histoire et Mémoire)

Elle et quelques Françaises sont dirigées vers le block n°13 de Ravensbrück. L’humiliation commence par la tonte des cheveux, le port imposé d’une veste portant un triangle rouge et un F au milieu (identification des détenus résistants français), le choix d’un numéro matricule (27 781), et une multiplication de visites médicales.

Tenue de déportée de Jeanine Morisse à Schlieben (source: Musée de la Résistance de Toulouse)

Au cours de l’une de ces visites médicales, Jeanine Morisse est envoyée au Revier de Ravensbrück, une sorte d’infirmerie, car elle couvait encore la jaunisse. Là-bas elle comprend vite qu’elle ne sera pas soignée et que la seule issue possible sera la mort8. Elle décide alors de s’échapper dès qu’elle le pourra.

Elle se lève à 3h30 chaque matin pour un appel interminable dans le froid. Pour Jeanine Morisse et ses camarades, ces conditions sont difficilement supportables. Dans son livre elle explique : « Nous ne sommes plus rien que des numéros ! Ils ont cru nous abaisser, nous enlever toute dignité, ils nous ont tout pris ! Quelle impression de ne plus rien posséder, ni mouchoir, ni brosse à dents, ni cheveux ! »9. Dans ce court passage, Jeanine Morisse-Messerli aborde la négation de l’Homme qui saisit chaque prisonnier(e) dès son entrée dans le système concentrationnaire nazi. Quelques jours plus tard, son block est mis en quarantaine, car il n’avait pas été désinfecté et de nombreuses maladies s’y propageaient comme la typhoïde, la scarlatine, la diphtérie et le typhus.

Femmes tondues à Ravensbrück (source: Passion thrillers)

Finalement, le 31 juillet 1944, Jeanine Morisse est déportée avec un petit groupe de Françaises pour Schlieben, un petit village du Brandebourg allemand situé à côté d’une poudrerie où elle doit travailler. C’est là-bas qu’elle reçoit une chemise rayée portant le numéro matricule 15 100, numéro qui figure sur la chemise dont Jeanine Morisse a fait don en 2015 au Musée de la Résistance de Toulouse (cf. photo plus haut dans l’article : nous nous basons ici sur ce que Jeanine Morisse indique dans son livre, et qui contredit les informations présentes sur le site du Musée de Toulouse). Jeanine Morisse est d’ailleurs plus connue sous ce numéro matricule (15 100) que sous celui qu’elle portait à Ravensbrück, le numéro 27 781.  C’est pourquoi nous l’avons privilégié, même si les événements reconstitués dans notre vidéo correspondent à la période “Ravensbrück” de sa déportation10.

Introduction du film sur Jeannine Morisse (plan d'introduction 2)

Son premier travail à Schlieben est de charger des wagons de munitions et de les pousser jusqu’à l’usine. Cependant les wagonnets étaient très lourds, et les jeunes femmes sous-alimentées avaient beaucoup de mal à remplir leur tâche, qui plus est sous la pluie et dans la boue. Un civil allemand, encadré de SS, venu pour une inspection du camp et constatant leurs difficultés décide de les faire changer de travail, après quoi le petit groupe de Françaises est chargé de mettre la poudre dans les fusils. Ce nouveau travail fut moins épuisant pour elles, et elles parvinrent même à trouver un moyen de ne pas mettre la bonne dose de poudre dans les fusils sans se faire repérer : malgré l’entreprise de déshumanisation menée par les nazis, “Niquou” (son surnom) et ses camarades demeuraient résistantes dans l’âme.

Des femmes tirent des wagonnets sur des rails dans le camp de Plaszow, vers 1943 (source : L’échelle de Jacob)

Elle passa là-bas la Noël 1944, date qui laissa à Jeanine Morisse un souvenir amer de l’humiliation constante subie par les détenu(e)s dans les camps de travail : « nos pauvres ventres affamés étaient attirés vers ces petits paquets, pleins d’espérance. [...] Je compris tout de suite ce que j’avais dans le mien : quand nous les ouvrîmes, les unes avaient un peigne, d’autres une glace, d’autres des barrettes, moi j’ai eu le privilège d’avoir des épingles à cheveux ! N’oubliez pas que nous venions d’être tondues, double zéro ! Nous avons été privées de nourriture pendant 24 heures. [...] Pas de travail, pas de nourriture! »11.

Fin avril 1945 le camp est déserté. Les officiers allemands annoncent que les Russes arrivent et demandent aux déportées si elles désirent fuir avec eux. Seul le groupe de Françaises dont fait partie Jeanine Morisse décide d’attendre l’arrivée des Russes. Quelques jours plus tard, les Russes arrivèrent au camp de Schlieben et prirent en charge le groupe de Françaises. Ils fouillèrent la ville pour trouver des vêtements à Jeanine et ses camarades, refusant qu’elles gardent leurs chemises rayées, puis ils leur donnèrent un laisser-passer afin qu’elles puissent traverser l’Allemagne et rejoindre la France.

Libération des camps des femmes d'Auschwitz par les russes le 27 janvier 1945 (source: IB Times UK)

Le 7 mai 1945, le groupe de jeunes françaises arrive au camp Grimma« Le camp est surtout une grande bâtisse où les prisonniers de toutes nationalités se regroupaient pour se faire rapatrier »12. Un peu plus d’une semaine plus tard, Jeanine Morisse prend le train pour la France et, après trois jours, elle arrive à Paris où elle retrouve son père et sa sœur, sa mère étant restée dans le Gers.

Les retrouvailles d’une déportée âgée avec ses proches, à Paris, en 1945 (source: CNRD)

Jeanine Morisse-Messerli a eu beaucoup de mal à témoigner et à raconter ce qu’elle avait vécu dans les camps. Comme elle l’écrit très bien : « C’est indescriptible. La destruction de l’être par cette machine infernale, le nazisme, qui ne voulait pas seulement détruire le corps, mais l’esprit, l’âme. Le plus profond de l’être, l'avilissement total. »13. De très nombreuses années après sa libération elle décide de se confier auprès de la journaliste Marie-Hélène Roques, à l’âge de 86 ans. Au début du livre de souvenirs Là d’où je viens, Marie-Hélène Roques écrit, en guise de préface : « Oh! Cela n'a pas été facile pour elle, il a fallu sortir du dilemme : dire ou se taire ? Dire, c'était banaliser, mettre en mots l'innommable, se taire, c'était le laisser dans l'oubli. Dire, c'était mettre en ordre le désordre, donner du sens à l'insensé, énoncer une réalité que la raison ne peut appréhender »14. Finalement, Jeanine Morisse s’est confiée. Comme pour rendre à ses camarades défuntes une part de l’humanité que le système concentrationnaire leur avait ôtée. Notre travail de mémoire est un écho à la dédicace que Jeanine Morisse a laissée dans un de ses ouvrages lors d’une rencontre avec un journaliste : « Merci de ne pas oublier »15. Un message qu’elle a aussi tenu à nous faire passer lorsque nous avons eu la chance de la rencontrer en mars 2017, comme vous pourrez le découvrir dans la partie “RENCONTRE” de ce site (accessible depuis la page d'accueil).

Jeanine Morisse-Messerli vers 2010, à la prison Saint-Michel, la faute sur le prénom de Jeanine est sur le document original  (par Pierre Lasry : Interview en ligne)

POUR EN SAVOIR PLUS SUR LE SUJET

Là d’où je viens,  Jeanine Morisse (souvenirs recueillis par Marie-Hélène Roques), Editions Empreinte, 2008

 

"Musée départemental de la résistance et de la déportation", Les poèmes de Niquou, 2015

1Jeanine Morisse, Là d’où je viens (souvenirs recueillis par Marie-Hélène Roques), Editions Empreinte, 2008, p.10

 

2Ibid, p.11

 

3Ibid, p.23

 

4Ibid, p.26

 

5Musée départemental de la résistance et de la déportation, Les poèmes de Niquou, 2015, musee-resistance.haute-garonne.fr

 

6Jeanine Morisse, Là d’où je viens (souvenirs recueillis par Marie-Hélène Roques), Editions Empreinte, 2008, p.42

 

7Ibid, p.44

 

8Ibid, p.59

 

9Ibid p.55

 

10Ibid, p.74

 

11Ibid, p.99

 

12Ibid, p.120

 

13Ibid, p.131

 

14Ibid, p.5

 

15 Hugo Daillan, Les enfants de la république sont en deuil, 2015, pasderosessansepines.com