DERRIÈRE LE MATRICULE 172 749
LÉON LEHRER
Photographie de l’acteur jouant Léon Lehrer dans notre film - Il n’existe pas de photo connue de ce dernier jeune
Léon Lehrer, ancien déporté d’Auschwitz, est né dans le 10ème arrondissement de Paris le 6 avril 1920 de parents juifs, et a grandi à Montmartre. En 1942, devant la menace grandissante des grandes rafles, il part rejoindre ses sœurs à Toulouse en zone libre. Mais, fin novembre, l’Allemagne envahit le Sud de la France.
Un an plus tard, le 26 novembre 1943, à l’âge de 22 ans, peut-être à cause d’une dénonciation, il est arrêté avec sa sœur Louise sur la base de leur judaïté. Transférés de la prison Saint-Michel à Toulouse au camp de Drancy, ils y arrivent le 16 décembre 1943 tandis que leur parents, Samuel Lehrer et Maly Rosenfeld, échappent aux rafles jusqu’à la Libération grâce à la complicité de policiers.
Dessin anonyme illustrant la prison Saint-Michel pendant la seconde guerre mondiale (source: Archive de Toulouse)
Après plusieurs mois passés dans des conditions de détention misérables, en janvier 1944, il est déporté pour « [il] ne sait où en Pologne »1. Léon Lehrer rejoint sa sœur, transférée à Auschwitz via le convoi 66, dont seul 47 des 1.153 juifs déportés ont survécu.
Ce voyage en train, Léon Lehrer le décrit lui-même comme un « enfer »2, un gouffre où les morts s’entassent. C’est durant cette période que la souffrance engendrée est à son paroxysme : les déportés abandonnent toute forme d’humanité. Ce passage marquant de son histoire ainsi que le reste de son expérience concentrationnaire sont mis en scène dans notre court métrage.
Plan 1 du court-métrage sur Lehrer Léon, illustrant les déportés dans un wagon
Nous y mettons en avant ces conditions de vies vécues comme « inhumaines, humiliantes »3 par Léon Lehrer, afin de perpétuer sa mémoire. L’horreur expérimentée eu pour conséquence de détruire à petit feu l’identité de Léon Lehrer, qui ne se considère dès lors plus comme un individu à part entière, « ni même un sale juif, mais 172 749, un morceau numéroté appartenant au III ème Reich »4.
Tondu, tatoué sous ce matricule, Léon Lehrer est ensuite intégré à un kommando chargé de prolonger la rampe d'accès à Birkenau, avant d'intégrer un groupe de travail de l’usine de caoutchouc du camp satellite de Buna Monowitz 8 jours suivant son arrivée, en se faisant passer pour un ingénieur électricien.
Photographie des usines de Buna sur le site de Monowitz (source: 1942 des rafles à la déportation)
Témoin du massacre de masse des Juifs, il est sauvé par la solidarité de son compatriote Joseph Wolfovitch, qui l'accompagne lors des marches de la mort en direction de Glewitz. Ces dernières débutèrent le 18 Janvier 1945.
Peinture de Jan Komski (1915-2002), dessinateur et peintre polonais déporté à Auschwitz, illustrant la mise à mort des détenus, n’ayant plus de force pour poursuivre les marches de la mort (source : CNRD)
Après un départ pour le petit camp de Buchenwald par convoi ferroviaire, où il arrive le 26 janvier 1945 et reste jusqu’à fin mars, Léon Lehrer repart quelques jours plus tard à pied, évacué par les SS. Il est rattrapé par une patrouille américaine dans la campagne bavaroise le 8 mai 1945 puis est soigné par ses libérateurs. Il est rapatrié à Paris le 18 mai 1945 où il réchappe du typhus qui emporte cependant son camarade Lucien Elkind, quelques jours après leur rapatriement.
Devant l'incompréhension et l'indifférence de ses proches quant à l’horreur de son expérience, il conserve à son sujet le plus grand silence. C’est seulement 53 ans après sa sortie du camp qu’il décide d’écrire un livre de mémoire, Un Poulbot à Pitchipoï. Il y confesse : « j’ai quitté mon mutisme et enregistré mes souvenirs qui forment ce livre »5.
Couverture d’Un Poulbot à Pitchipoï, rédigé par Léon Lehrer et Sonia Zak, édition causette (source: Priceminister)
Ce “témoignage”, rédigé par Léon Lehrer et Sonia Zak, retrace son itinéraire de petit Poulbot, enfant pauvre de Montmartre, né en 1920. Il s’agit d’un récit de son séjour forcé à Auschwitz, puis de sa longue errance sur les routes de Pologne, d'Allemagne et de Tchécoslovaquie. Une expérience difficile à mettre en mots, au marge de l’indescriptible, de l’irréel, une vie qu'il n'a accepté de dévoiler que pour répondre aux questions pressantes des jeunes d'aujourd'hui, comme nous, qui veulent pouvoir comprendre et témoigner à leur tour, le moment venu.
Léon Lehrer, à 83 ans, a été l’une des deux premières personnes à être distinguée citoyen d’honneur de la ville Courtry. Ainsi, il fut honoré pour son inlassable travail de mémoire, de transmission en direction des jeunes, souvent émus par son témoignage.
Ce grand homme nous a quitté le 20 juin 2010, à l’âge de 90 ans. Nous garderons à l’esprit, grâce à la lecture de son récit, sa volonté de témoigner, afin de prouver aux générations futures que le racisme, appuyé par le terrible système concentrationnaire nazi, peut générer une horreur bien réelle, dépassant toute fiction. En cela nous contribuons à exaucer le souhait de Léon Lehrer qui affirmait lui-même : « à 89 ans, je veux continuer à témoigner pour faire comprendre aux jeunes la barbarie des nazis »6.
Carte retraçant le trajet emprunté par Léon Lehrer pendant sa déportation
POUR EN SAVOIR PLUS SUR LE SUJET
“Memorialdelashoah”, rencontre avec monsieur Lehrer Léon, Lydie Gaultier et Véronique Desroches, 2006
“Overblog”, témoignage de monsieur Lehrer Léon, metro news
“Afma93”, témoignage de monsieur Lehrer Léon, Helder Gil, professeurs au Collège Alphonse Daudet de Draveil, 2010
1Helder Gil, Racisme - Déshumanisation - Génocide, 2010, disponible sur afma93.free.fr
2Ibid
3Lydie GAULTIER et Véronique DESROCHES, Monsieur Lehrer Léon, ancien déporté d'Auschwitz, 2006, disponible sur www.memorialdelashoah.org
4Ibid
5Ibid
6Helder Gil, Racisme - Déshumanisation - Génocide, 2010, disponible sur : afma93.free.fr