PUNIR POUR SOUMETTRE

« Le SS Johann Gorges battant un déporté », dessin de David Olère, Sonderkommando à Auschwitz de 1943 à 1945 (source: Sonderkommando.info)

Dans un système concentrationnaire où toute forme d’humanité est déjà censurée, où l’identité des prisonniers est niée, les sanctions régulières prises dans les camps viennent renforcer ce programme, dans le but d’étouffer toute forme d'espérance. Ces punitions physiques et morales sont au coeur des témoignages des rescapés des camps :  elles sont qualifiées « [de] pratiques barbares »1 par Roger Romagny, déporté en 1944 à Dachau, et de « juxtaposition d'actes de brutalités, d'avilissement et d'abnégation »2 par Roger Boulanger, déporté pour refus d’incorporation dans la Wehrmacht.

Plan 7  du court-métrage sur Lehrer Léon, le montrant puni pour avoir gardé ses lunettes

En effet, les nazis humiliaient les détenus (plan 7) et imposaient de multiples formes de punition aux déportés, ce que nous confirme Eugen Kogon, déporté en 1939 pour Buchenwald, dans son témoignage : « privation de nourriture, station debout prolongée sur la place d'appel, travaux supplémentaires, exercices punitifs paramilitaires, transfert dans la compagnie disciplinaire ou dans un kommando de travail plus astreignant, bastonnade, flagellation, suspension par les poignets à un arbre ou à un poteau, emprisonnement dans le Bunker, mort pas assommade, par pendaison ou par balles »3

Dans l’ouvrage de témoignages Les Françaises à Ravensbrück,  figurent d’autres tristes exemples de la barbarie des punitions imposées par les nazis, aussi bien aux hommes qu’aux femmes : « Deux SS se mettent à [...] frapper [trois déportées] à coups de cravache, sur le bas du dos et sur le nez. L'un d'eux commande à chaque coup : debout, accroupie, et comme cela pendant vingt minutes [...]. La chef SS [...] leur fera boire de l'eau jusqu'à ce qu'elles n'en puissent plus »4.

Peinture de Jan Komski (1915-2002), dessinateur et peintre polonais déporté à Auschwitz, intitulée

« Studying the Camp Rules »  (source : Info Centers)

En réalité, les déportés des camps d’extermination sont destinés à une mort “au mieux” retardée et parce qu’aux yeux des nazis ils ne peuvent être regardés comme des hommes ou comme des femmes véritables. Ils deviennent, le temps où ils survivent, les esclaves des SS et des chef de block (plans 10 - 11). Ils sont punis pour n’importe quelle raison, pour n’importe quel prétexte, même futile : retard à l’appel, matricule décousu5, etc. Parmis les sanctions les plus connues encourues par les prisonniers, nous retrouvons les coups de bâtons et de cravache sur les fesses ou bien le dos : « j’ai reçu vingt-cinq coups de gourdins sur le dos, puis cinq autres car je n’avais pas crié »6 confie Léon Lehrer dans son témoignage, source de notre reconstitution filmée. De même, Roger Romagny décrit une scène insurmontable : « un kapo, qui se tient derrière [un autre détenu], lui administre des coups de bâton [...] jusqu'à ce que ce prisonnier meure d'épuisement et de coups »7.

Dessin de Davide Olère : un kapo punit un déporté dans le camp de concentration de Mauthausen (source: Metal on metal)

A noter que le nombre moyen de coups donnés, de 25 à 100, variait en fonction de la gravité de la “faute” commise par le détenu : « le plus souvent 25 à 30 coups étaient appliqués, mais parfois davantage »8 précise Paul Berben, militaire de carrière et prisonnier de guerre en Allemagne de 1940 à 1945.

Nous pouvons aussi relever, parmi les sanctions les plus courantes, des exercices très physiques imposés aux prisonniers, souvent à réaliser avec une charge supplémentaire logée dans une musette : « Debout ! Coucher ! À genoux ! Rampez ! Avec en bandoulière, deux musettes remplies de briques »9 , voici comment René Tardi (plan 21 du court-métrage sur René Tardi) nous raconte ce sévice vécu. Le SS Oberscharführer Ludwig Plagge, employé à Auschwitz, Buchenwald et dans certains camps de concentration de Majdanek, est d’ailleurs connu pour la paternité de ce genre d’exercices, ayant pour but la soumission des prisonniers.

Un kapo impose des exercices physiques aux déportés dans le camp de concentration de Mauthausen-Gusen, juillet 1943 (source : Dziennik)

La barbarie nazie dépasse l’imaginable. Ainsi, le block 11 du camp d'Auschwitz I est connu pour être le block de la mort. On y retrouve des salles permettant d'enfermer les prisonniers civils avant l’attente d’un jugement, souvent fatidique, les menant vers le “mur de la mort”, punition finale. Les murs du block 11 sont encore maculés des traces des exécutions en grand nombre que les nazis y perpétraient.

Peinture de Jan Komski (1915-2002), dessinateur et peintre polonais déporté à Auschwitz, illustrant l’exécution de déportés devant le “mur de la mort” (source : Info Centers)

Finalement, le travail dans les camps nazis était lui-même conçu comme une forme de punition, ayant pour but final la mort lente par épuisement des déportés mais aussi, auparavant, la négation de l’humanité de prisonniers sans cesse blâmés.

POUR EN SAVOIR PLUS SUR LE SUJET

Encyclopedie.bseditions”, informations sur le sujet des punitions dans les camps de concentration, auteur anonyme

 

Laresistancedanslescamps”, information sur les sanctions dans les camps de concentration, auteur anonyme

 

Moulinjc”, informations sur les formes de punitions dans les camps de concentration, auteur anonyme

 

Cndp”, recueil de témoignage d’anciens déportés, Jean-Pierre HUSSON, 2000 - 2008

 

1Jean-Pierre HUSSON, témoignages d’anciens déportés, 2000-2008, disponible sur www.cndp.fr

 

2Ibid

 

3Auteur anonyme, Dachau, disponible sur moulinjc.pagesperso-orange.fr

 

4Amicale de Ravensbrück et ADIR Les Françaises à Ravensbrück, Gallimard, 1965

 

5Ibid

 

6Lydie GAULTIER et Véronique DESROCHES, Monsieur Lehrer Léon, ancien déporté d'Auschwitz, 2006, disponible sur www.memorialdelashoah.org

 

7Jean-Pierre HUSSON, témoignages d’anciens déportés, 2000-2008, disponible sur www.cndp.fr

 

8Auteur anonyme, la résistance dans les camps, 2012, disponible sur laresistancedanslescamps.skyrock.com

 

9Jacques Tardi, Moi René Tardi, prisonnier au camp du Stalag II B, 2012, Casterman, page 144