DERRIÈRE LE MATRICULE 16 402 : RENÉ TARDI
Photographie de René Tardi prise en 1940, dans un camp de prisonnier de guerre (source: Moi, René Tardi, prisonnier au Stalag II B)
René Tardi naît en 1915. Il a probablement été conçu lors d'une permission de son père, alors soldat lors de la 1ère Guerre Mondiale. Ce dernier y survécu et revint brisé, traumatisé par l'horreur qu'il avait dû subir 4 années durant. René Tardi ne fit donc réellement connaissance avec son père qu'après l'Armistice de 1918 et grandit en écoutant les effroyables récits de guerre que ce dernier pouvait lui faire. Comme dans beaucoup d'autres familles, le souvenir du premier conflit mondial a laissé d’importants stigmates dans l'histoire de la famille Tardi. René Tardi a, en effet, vécu dans un camp de prisonniers. A ce sujet, notre regard s’est porté sur lui car on retrouve dans son expérience de détenu une négation formelle de l’homme, similaire à une expérience concentrationnaire comme présentée avec les deux autres personnages. Son fils, Jacques Tardi, décidera de retranscrire l’expérience de son père dans une bande dessinée: Moi, René Tardi prisonnier au Stalag II B.
Photographie de René Tardi en 1937 (source : don de l’enseignant-encadrant)
Présageant le début de la Seconde Guerre mondiale, René Tardi s'engage dans l'armée dès 1935 en tant que militaire volontaire affecté à la conduite de chars. Deux ans plus tard, il se marie. Mais la Seconde guerre mondiale débutant en septembre 1939 l'entraîne dans la tourmente comme les millions de soldats français mobilisés pour le conflit1.
Au matin du 22 mai 1940, René Tardi est fait prisonnier à Mons-en-Chaussée, dans la Somme, à l'âge de 24 ans, non loin du lieu où son propre père avait été blessé durant le conflit mondial précédent. Il fut ensuite déporté hors de France dans un wagon à bestiaux et vécu en tant que prisonnier de guerre dans le Stalag II B (un camp de prisonnier) à Hammerstein en Poméranie, dans le Nord Polonais actuel, pays à l’époque occupé par l’Allemagne.
Carte des Stalags (source: Blogger)
Dans le camp, « la vie est pénible, déprimante, mortelle... Tenaillés par la faim, les prisonniers n'ont qu'une obsession : manger […]. Ils rêvent d'évasion en écoutant la BBC en cachette »2 déclare Frédéric Potet.
« Des années inutiles de détention, d'éloignement, de souffrances, de mauvais traitements et d'humiliation »3, voilà comment nous pourrions résumer les cinquante-six mois passés derrière des barbelés de René Tardi. Ce dernier est resté captif durant 4 ans et 8 mois dans le Stalag II B jusqu'à la fin de la guerre, sous le matricule estampillé 16 402.
En janvier 45, alors que le IIIème Reich s'effondre, les prisonniers pouvant enfin sortir du camp entament une lente progression pendant un hiver peu propice à la traversée de la Pologne et de l'Allemagne afin de regagner leurs pays d’origine.
Carte faite par Jacques Tardi, présente page 140 du Tome 2 de la BD, illustrant le parcours du retour de son père sur la base de ses carnets (source: Bdmetrique)
René Tardi et les autres prisonniers reviennent en France dévastés, tout comme le père de ce dernier, des années auparavant4. Le corps de René Tardi est délesté de 30 kilos, dangereusement émacié.
Jacques Tardi, le fils de René Tardi explique : « c'est tout juste s'ils n'étaient pas partis en colonie de vacances »5. En effet, à leur retour, les rescapés, malgré leurs déboires, n'ont guère droit à un accueil empressé. Moins reconnus que les résistants et moins encore que les déportés qui revenaient des camps de concentration. Le jeune homme qui s'était engagé à la veille de la guerre est revenu de captivité en éprouvant un sentiment de profonde morosité et de dégoût contre la République - coupable d'avoir diffusé une image idéalisée et redoutable de la France dans l'entre-deux guerre - mais aussi contre sa propre patrie qui avait cédé face à l'ennemi « alors qu'il aurait tant aimé pouvoir en être fier ! »6.
René Tardi a poursuivi sa carrière dans l'armée jusqu'à la guerre d'Indochine pour ensuite devenir gérant d'une station-service7.
Il a eut un fils et une fille, respectivement Rosine et Jacques, à qui il raconta des pans de son expérience en tant que prisonnier de guerre.
Son fils Jacques, en se basant sur le témoignage de son père, réalisa la série de Bande Dessinée en deux tomes intitulée Moi, René Tardi, Prisonnier de guerre – Stalag IIB. Cette BD a en majeure partie documenté la présente biographie. Les dialogues de la vidéo retraçant le parcours de René Tardi sont issus des dialogues présents dans ce roman graphique construit avec une grande exigence historique, puisque les paroles qui y sont retranscrites ont été recueillies par le fils du déporté.
Cette oeuvre est donc un hommage de Jacques Tardi à son père, ce « héros sans gloire »8 tel qu’il l’appelle dans sa Bande dessinée, mort en 1986 à l’âge de 67 ans.
POUR EN SAVOIR PLUS SUR LE SUJET
Jacques Tardi, Moi, René Tardi, Prisonnier de guerre - Stalag IIB - Tome 1, 2012, édition Casterman
“Jacques Tardi : "En 1945, les prisonniers de guerre français n'ont eu droit à aucune considération”, vidéo sur les motivations de Jacques Tardi voulant retranscrire l’histoire de son père
“Stalag IIB, sur les pas de René Tardi”, informations supplémentaires en ligne de l’histoire de René Tardi
1Jacques Tardi, Moi, René Tardi, Prisonnier de guerre – Stalag IIB – Tome 1, 2012, édition Casterman
2Frédéric Potet, Jacques Tardi : "Mon père, ce vaincu", 2012 disponible sur www.lemonde.fr
3Jacques Tardi, Moi, René Tardi, Prisonnier de guerre – Stalag IIB – Tome 1, 2012, édition Casterman
4Ibid
5Frédereic Potet, Jacques Tardi, "Mon père, ce vaincu", 2012 disponible sur www.lemonde.fr
6Jacques Tardi, Moi, René Tardi, Prisonnier de guerre – Stalag IIB – Tome 1, 2012, édition Casterman
7Frédéric Potet, Jacques Tardi : "Mon père, ce vaincu", 2012, disponible sur www.lemonde.fr
8Jacques Tardi, Moi, René Tardi, Prisonnier de guerre – Stalag IIB – Tome 1, 2012, édition Casterman