HUMILIER ET AFFAIBLIR POUR NIER

« Retour d’un kommando », gravure de Henri Gayot, déporté à l’Oflag XVIIA (Source : Le Guide culturel)

Durant la Seconde Guerre mondiale, les déportés - prisonniers de tous types - subissaient des actes d’humiliation effroyables.

Ainsi, dès leur arrivée, les familles étaient séparées : les hommes d’un côté, les femmes de l’autre. Les enfants étaient généralement séparés de leurs parents. S'ils ne l’étaient pas, ils étaient tués à cause de leur âge. Des familles entières pouvaient également être tuées directement à la descente des trains. En séparant, en déracinant, les nazis niaient l'appartenance des individus à un groupe, une famille, un noyau...et niaient de ce fait leur appartenance à l’humanité socialisée.

Déportés juifs descendent des wagons à Auschwitz en 1944, et triés (source: Dirkdeklein)

René Tardi nous raconte, lui aussi, les traitements humiliants subis par les prisonniers dans les Stalags, ces lieux d'enfermement que nous étudions ici car nous considérons que les camps de prisonniers de guerre, par leur fonctionnement, de l’arrivée des détenus aux travaux qui leurs sont imposés, sont intégrables au “système concentrationnaire nazi” car parents des camps de concentration allemands. « Fouille, abandon des objets personnels, des capotes, des ceinturons, de tout équipement militaire »1 (plan 4), c’est ce que René Tardi subit à son arrivée au Stalag II B. Effectivement, après leur entrée dans le camp, les détenus étaient entassés dans des files de plusieurs mètres de long. Au bout de la file se trouvaient des SS qui recueillaient tous les objets personnels des détenus (bijoux, dents en or) et tout ce qui pouvait les rattacher à la vie extérieure. Une façon de les amoindrir dans leur identité.

Yvette Lévy, résistante française, parle de son histoire ainsi que de sa déshumanisation vécue : « C’est alors que commence notre calvaire. Sous les jurons et les hurlements des Kapos et des S.S, nous entrons dans une grande salle où l’ordre nous est donné de nous déshabiller de la tête aux pieds : le summum de l’humiliation pour des jeunes filles. Les coups des S.S avec leurs goumis (Matraque en caoutchouc utilisée par les S.S. dans les camps) pleuvent sur la tête et les épaules. Des femmes plus âgées, résistantes lyonnaises qui avaient elles-mêmes enduré des tortures nous ont priées d’obéir afin d’éviter d’être massacrées »2. En effet, cette femme a subi des humiliations et une horreur incessantes. Trop souvent, les déportés se retrouvent nus, alignés comme des bêtes. Par ce type d’humiliation corporelle, véritable violence symbolique, les nazis approfondissent leur entreprise de déshumanisation des détenus, prisonniers de leur système concentrationnaire tant physiquement que moralement. C’est l’occasion, dans les camps de prisonniers comme ailleurs, d’un examen médical poussé.

Femmes nues dans un camps de concentration - Photographie versée au procès de Nuremberg  (source: Jewishgen)

 

Dans les camps de prisonniers (ou Stalag), après leur avoir retiré leurs biens et avoir procédé au tri des déportés, les soldats allemands emmènent les hommes dans ce qui ressemble à un hangar, sans aucune explication. Ils doivent ôter leurs vêtements et leurs chaussures3. Des barbiers leur tondent les cheveux et les rasent : « Nous avons eu droit à la tondeuse du friseur. Les poux pullulaient dans nos toisons crasseuses »4, témoigne René Tardi, selon les propos rapportés par son fils Jacques.

Dessin extrait de la bande dessinée Moi, René Tardi, prisonnier au Stalag II B, 2012, Edition Casterman

Aucune explication ne leur est donnée. Ils sont douchés comme s'ils étaient contaminés. Puis les soldats les font sortir nus, même dans l’hiver très rude. Pour mieux les examiner. S’ils ne présentent aucune anomalie, ils sont tatoués : par ce moyen, les prisonniers perdent leurs noms. Leur unique moyen d’identification devient dès lors leur numéro matricule. Une suite de chiffres, écrasante, remplace leur état civil. C’est un des premiers et plus tristement fameux symboles de la déshumanisation exercée par les nazis dans leur système concentrationnaire.

Photographie du tatouage de André Rogerie, résistant déporté à Auschwitz (source : 39-45)

Les prisonniers sont aussi fichés. En d’autres termes : classés. Les nazis établissent une Karteï (fiche d’immatriculation) sur laquelle figurent les différents camps dans lesquels ils ont été détenus, leur date d’intégration au système concentrationnaire nazi, mais aussi les coordonnées de leurs proches, leur femme le plus souvent (cf. cartes de prisonnier ci-dessous). Dans le livre Prisonniers de guerre d’Yves Durand, au chapitre « Les évadés - Risques, complicités, représailles », il est expliqué que la connaissance des coordonnées des proches des prisonniers est l’occasion de menaces, autre forme d’humiliation : les prisonniers tentant de s’évader des Stalags se voient au mieux interdits de communiquer avec les proches en question, au pire menacés de représailles touchant ces proches restés en France (amendes, intimidations, etc)5.

Fiches d’immatriculation de René Bouvier, fait prisonnier en juin 1940 (source : don de l’enseignant-encadrant)

Ailleurs dans son témoignage,  René Tardi s’exprime en ces termes, sous la plume de son fils Jacques : « Je n’étais plus qu’un Stücke de viande, pris dans la toile de l’administration nazie de ce putain de camp »6. Il y résume une dure réalité : dans les camps allemands les internés étaient traités tels des animaux, sans pitié et avec violence. Tandis que d’autres, moins chanceux, étaient tués rapidement, par divers moyens tels que les exécutions par balle ou dans les chambres à gaz.

Mais même si l’on survivait aux camps, on y laissait une part de son humanité, amoindrie par des humiliations constantes. De nombreux hommes courageux, robustes revenaient de leurs années passées dans les Stalags et dans les kommando de travail (aux champs, dans les usines, etc.) avec une santé fragilisée, comme le constataient, sur les fiches médicales des prisonniers libérés, les médecins de la croix-rouge en 1944-1945. Sur le visuel ci-dessous : René Bouvier, distingué en 1940 pour sa bravoure, rentre en 1945 avec une « diminution visuelle des membres inférieurs »7, des « varices »8, etc., alors même qu’à l’instant de cet examen médical, cela faisait quelques semaines qu’il avait été libéré. A noter : 43% des prisonniers de guerre déclaraient avoir souffert dans leur santé de séquelles dues à la captivité9.

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Extraits de la fiche matricule et de la Fiche médicale de René Bouvier (source : don de l’enseignant-encadrant)

René Tardi lui-même, tout au long des 2 tomes de la Bande dessinée que son fils lui a consacré, apparaît comme ayant perdu une grande part de son attrait pour l’existence. Et c’est cette image, celle d’un homme bougon, usé et fataliste, qu’il laissa à Jacques, et que lui même nous a transmise.

Dessin extrait de la bande dessinée Moi, René Tardi, prisonnier au Stalag II B, 2012, édition Casterman

POUR EN SAVOIR PLUS SUR LE SUJET

Yves Durand, Prisonniers de guerre dans les Stalags (1939-1945), Hachette Littératures, 1987

 

Jacques Tardi, Moi, René Tardi, prisonnier au Stalag II B, 2012, Edition Casterman

 

Vivre à Auschwitz, entre l’humiliation et la souffrance”, vidéo parlant de l’humiliation subie par les internés d’Auschwitz.

1D’après la bande dessinée  Jacques Tardi, Moi, René Tardi, prisonnier au Stalag II B, 2012, Edition Casterman p.81

 

2Cercle d’étude de la déportation et de la Shoah, Birkenau, la déshumanisation dès l’arrivée, 2013, disponible sur www.cercleshoah.org

 

3Auteur inconnu, La tonte dans les camps de concentration, 2001, disponible sur www.tetue.net

 

4D’après la bande dessinée, Jacques Tardi, Moi, René Tardi, prisonnier au Stalag II B, 2012, Edition Casterman p.81

 

5Yves Durand, Prisonniers de guerre dans les Stalags (1939-1945), Hachette Littératures, 1987, p. 117

 

6D’après la bande dessinée p.84 : Jacques Tardi, Moi, René Tardi, prisonnier au Stalag II B, 2012, Edition Casterman

 

7Extrait de la fiche médicale de René Bouvier, don de l’enseignant-encadrant

 

8Ibid

 

9Yves Durand, Prisonniers de guerre dans les Stalags (1939-1945), Hachette Littératures, 1987, p. 304